La
pause du repas
Le
repas lui-même tend à disparaître. Dans les
sociétés traditionnelles, il est un moment de présence,
que la communauté de vie et de travail s’accorde à
elle-même, où elle s’arrête, se rassemble, se
retrouve, restaure le lien. Dans
les nouvelles usines à flux tendu, aux caisses des
supermarchés, les machines ne s’arrêtent plus, les
employés vont en pause les uns après les autres, au fur
et à mesure qu’ils sont remplacés par des salariés
tournants.
Les
restaurants traditionnels, qui ouvrent et ferment leurs portes à
heures fixes, continuent d’imposer un minimum de rythme collectif,
ce que ne font plus les fast-food,
ouverts sans interruption jusque tard dans la nuit, où chacun
vient se restaurer en fonction de ses envies et de son propre
rythme d’activité.
Rapide,
individualisé, fluide, que les fast-foods, les cafétérias,
les viennoiseries, les sandwicheries, les selfs services excellent à
satisfaire et à promouvoir, mais dont l’économie
propre gagne sur les habitudes domestiques, d’une proportion
croissante d’habitants de la planète. Les repas deviennent
au mieux un moment de présence à soi.
Les
Français à 92 % déclarent en effet être
adeptes du « snacking », ou grignotage, et 25 % des
dépenses alimentaires dans l'Hexagone y sont consacrées.
Sucré ou salé, le « snacking » connaît
un succès grandissant en Europe. Sur ce marché, les
industriels redoublent de créativité avec des
conditionnements inspirés de la confiserie de poche. Les
mini-saucissons de Justin Bridou, les kits repas intégrant des
couverts dans le packaging, les portions avec sauces ou encore les
minigourdes fromagères Acrobat Président en sont de
bons exemples. Le développement du snacking ne coïncide
pas vraiment avec la montée des préoccupations de santé
publique.
Que
ce soit pour lutter contre le stress, pour oublier la fatigue ou
simplement par gourmandise, le grignotage guette à tout moment
de la journée. Il est d'autant plus pratiqué que notre
mode de vie s'accélère, incitant à une
déstructuration des repas, et que les tentations sont
constantes, face à une offre alimentaire très
diversifiée et facilement accessible.
En
multipliant les prises alimentaires en dehors des repas, le
grignoteur augmente sensiblement ses apports caloriques sur la
journée. L'excès énergétique est alors
rapidement transformé par l'organisme en masse grasse d'où
l'apparition du surpoids et de l'obésité.
"Toujours
plus rapide, toujours
plus pratique, toujours plus sain" annonce l’Agence
internationale de marketing « TNS media intelligence »,
chargée de suivre l’évolution de la demande pour les
industries alimentaires.
«
Le must »
de
la praticité en 1960 était les plats industriels
standard ; en 1990, il s’agit
des plats préparés qui associent convenience
(produits
nouveaux, à la mode,surprenant
et pratiques) et qualité ; en 2005 on parlera de repas
just-in-time
:
comme je veux,quand
je veux, où je veux ».
En France, la consommation de plats cuisinés frais aurait
ainsi progressé
de 60% entre 2000 et 2004, les salades traiteur de 97%, aux dépens
des aliments traditionnels,
exigeant un minimum de préparation : la viande (-11%), la
volaille (-15%)17. Et de
prédire un bel avenir et des marchés en pleine
expansion au food
on-the-go,
notamment pour
ce qu’ils appellent l’impulse
snacking (la
friandise achetée au coin de la rue), ou le meal snacking,
(les plats tous prêts), mieux encore la finger
food,
la restauration que l’on consomme
en marchant, en conduisant sa voiture, en surfant sur le net, qui ne
nécessite aucun couvert,
aucune assiette, juste une main, et une seule pour déchirer un
sachet et tenir le wrap
: pain,
galette de maïs, pita, crêpe, pâte feuilletée,
voire feuille de salade (en vogue aux États-Unis),
enserrant une garniture à base de mayonnaise (même si
l’on voit cependant apparaître des
sandwiches végétariens ou allégés en
matières grasses, des pains complets, beaucoup de crudités,
de poulet...). Car, si les Français se disent volontiers
réticents aux fast-foods, les points
de vente continuent -toujours d’après le même institut
de marketing- à se développer à un
rythme très important, grâce au recours massif au
système de franchises. Et si chacun apprécie
d’arrêter le temps, l’espace d’un bon repas en famille ou
entre amis, de redécouvrir et
d’apprécier une cuisine jugée plus authentique, pour
l’essentiel de leur vie quotidienne, les consommateurs
postmoderne préfèrent le just-in-time,
les
plats préparés, le hard
discount qui conviennent
le mieux possible à la fluidité des existences
circulantes.
Aux
plats collectifs d’une cuisine familiale traditionnellement pauvre
et peu diversifiée, s’oppose une diversité
de portions individualisées, prêtes à consommer.
Exposées sur les présentoirs
des self-services, dans les rayons chauds ou froids des supermarchés,
sur les claies du
réfrigérateur de la maison, ou dans les casiers des
congélateurs, en images sur les murs ou les
menus illustrés des fast-foods, elles s’offrent au désir
du consommateur pressé, toutes en séduction,
rehaussées par la publicité, le packaging, les
diffuseurs d’ambiance parfumée, l’éclairage.